L'IA, la solution contre les les risques psycho-sociaux ?
Et si l’IA était la solution pour éradiquer les risques psycho sociaux ?
Par Dominique Podesta, Experte IA, RH et Inclusion (Partenaire Louis Dupont, spécialiste en management de transition)
2019 : les émotions deviennent une évidence
2020 le COVID marque un tournant : les individus voient leurs émotions exacerbées par les drames et la peur de la maladie. Les entreprises prennent des décisions immédiates pour confiner les salariés, contraints et/ou rassurés de se sentir en sécurité à leur domicile. Les entreprises se félicitent de considérer l’impact positif du télétravail sur le bien-être alors qu’on n’a jamais dénombré autant de burn-out et de maladie des jeunes générations que depuis cette époque : En 2023, on enregistre une hausse de 12% des arrêts courts par rapport aux années précédentes dans le Baromètre de l’absentéisme 2023 de Malakoff Humanis : « les arrêts maladie souvent attribués à un manque de bien-être et une adaptation difficile à l’environnement de travail ».
Quatre ans après que reste-t-il de cette crise inconnue dans les relations au travail ? un profond bouleversement. Le taux d’absentéisme même s’il a baissé est probablement définitivement élevé ; de nouvelles causes d’absence sont apparues celles liées aux risques psycho-sociaux ; de nouveaux vocabulaires sont apparus, le burn-out, le bore out, le quiet quitting. Ces termes révèlent des comportements associés à des émotions : l’envie, la colère, la peur, le dégoût, la déception, la tristesse. Les émotions se sont installées dans la vie des salariés alors même que l’entreprise cherche à les évacuer, les mépriser depuis toujours.
Enfin le retour des conversations et des interactions de proximité
En 2018, OPENAI publie le premier modèle GPT-1, première avancée dans la génération de texte en langage naturel. En 2020, GPT 3 sort avec 175 milliards de paramètres, capable de réaliser des tâches complexes de traitement du langage naturel, notamment des conversations engageantes, des réponses à des questions.
2022 est la naissance du sujet véritablement : CHATGPT arrive, une interface publique conçue pour interagir avec GPT-3 en mode conversationnel, permettant aux salariés de discuter avec l’IA de manière plus fluide et maintenant intuitive.
Les relations se réinventent. Les faudrait-il virtuelles pour recréer une dynamique d’authenticité et d’équilibre serein et vertueux dans les relations ? c ’est ce qu’on vous invite à explorer dans un monde du rapport au travail bouleversé qui a laissé la part belle au stress, à la souffrance au travail, aux risques psycho-sociaux.
« le monde des relations humaines fragilisées et le monde des relations virtuelles renforcées ».
Deux mondes parallèles se sont développés à la vitesse grand V : le monde des relations humaines fragilisées et le monde des relations virtuelles renforcées.
Cet article explorera alors l’impact de l’environnement sur les relations au travail, puis comment l’IA peut réintégrer de l’humanité dans les relations au travail. Si l’IA n’est jamais que nourrie par l’humain, le risque de ne pas la prendre au sérieux dans l’amélioration des relations au travail est- il plus grand que celui de la laisser prendre sa place dans un monde de perma virtualité – de virtualité permanente- qui s’offre aux salariés ?
I. Le Travail à l’ère du temps passé
Dans un monde de perma crise, les entreprises agissent en permanence en mode urgence. Le temps s’est accéléré, les salariés sont pris dans un engrenage de course folle vers plus de rentabilité, plus de performance, moins de moyens, moins d’échanges et plus d’attentes. Et les cultures de management ne se sont pas adaptées à plus d’autonomie et de considération réelle pour les salariés. François DUPUY en parle très bien dans « le travail à l’ère du temps passé ».
La réglementation française s’est emparée des sujets de bien-être au travail, a repris en main les enjeux de mixité et de diversité, s’est arrogée le pilotage social des entreprises. L’apparition des quotas en 2011 avec la loi Copé-Zimmermann du 21 janvier 2011 à un niveau de gouvernance a changé la donne ; l’index égalité professionnelle (Index Pénicaud – Loi du 5 septembre 2018) a bousculé les entreprises, les contraignant à afficher leurs preuves d’égalité femmes/hommes. L’exposition de ce qu’elles font vraiment et de ce qu’elles disent faire devient un enjeu.
Et comme un corollaire, les entreprises ont désinvesti les relations humaines, réduisant de manière drastique les équipes RH humaines au profit de process industriels et numériques, optimisant au maximum les organisations via des process, outsourçant par des Centres de Services Partagés (CSP) et des consultants extérieurs, leurs compétences ou plutôt leurs coûts de back-office. L’étude « 2020 Global Human Capital Trends » de Deloitte montre que les investissements en RH ont augmenté via les technologies et les mesures en matière d’équilibre de vie et de télétravail, pour répondre aux attentes des salariés sans que cela soit une priorité pour les dirigeants.
L’ère des relations humaines est au permadrame -un drame permanent : en 20 ans, tout ce qui pourrait paraître progrès a en réalité creusé le fossé entre les attentes et les besoins des salariés et les préoccupations et les enjeux des gouvernances. Et les conséquences sont parlantes :
- Les relations au travail se sont distendues -30% des salariés en télétravail se sentent isolés d’après l’enquête menée par Malakoff Humanis en 2022.
- Un taux d’absentéisme qui s’est figé au-delà de 4%
- Un besoin urgent pour les salariés de tout âge de rééquilibrer leurs priorités et de s’intéresser à leur vie personnelle
À ne pas considérer les émotions comme une priorité, les dirigeants vont passer à côté de la gestion de l’engagement de leurs salariés de leurs besoins. Quels sont les risques ? la non performance économique et sociale. En 2022, 85% des salariés dans le monde se déclaraient peu engagés voire désengagés de leur travail, d’après des études de Gallup.
À ne se focaliser que sur les enjeux de gouvernance et les priorités règlementaires et économiques, les dirigeants vont passer à côté de l’impact de l’intelligence artificielle non pas sur les activités mais sur les relations interpersonnelles.
II. L’IA amie ou ennemie ?
l’IA peut réintégrer de l’humanité dans les relations au travail. L’IA est devenue conversationnelle ; elle génère la possibilité d’échanger, de partager des informations certes mais aussi des émotions, des interprétations. Elle est rendue vivante par les paramétrages générés par l’humain. Elle est source de biais, elle recèle de nombreux paradoxes : à la fois déshumanisante dans les processus de recrutement, elle réhumanise la relation par les conversations qu’elle peut générer.
A la question suivante « Dis-moi quoi faire, je suis en difficulté professionnelle », CHAT GPT 4 répond : « si tu traverses une difficulté professionnelle, voici quelques pistes pour t’aider […]
« un dialogue de proximité pourrait être à nouveau possible ».
L’intelligence artificielle populaire celle de Chatgpt est sur tous les smartphones dont disposent 87% de la population, dont 94% pour les jeunes de 18-24 ans. L’accès à un dialogue de proximité pourrait être à nouveau possible.
Devenue le meilleur compagnon des générations, la nécessité de la connaitre, de l’apprivoiser devient flagrante tant elle recèle de solutions et de supports immédiats, alternatives à l’isolement du salarié.
L’accélération de son intégration dans le quotidien des individus est telle que l’IA prend aussi sa place dans le quotidien de ces individus devenus salariés quand ils passent chaque jour la porte de leur entreprise.
Ainsi l’IA devenue conversationnelle et les émotions parties intégrantes de relations interpersonnelles vont se côtoyer d’abord sans se reconnaître puis progressivement devenir indissociables. Compagnon de l’individuel l’IA pourrait ainsi devenir une clé pour enrichir, atténuer, comprendre et apprivoiser les émotions.
III. Un monde sans IA est un monde écorché
1998 est une date importante, un virage pour les relations au travail nommées « mal-être au travail ». Avec son livre « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien », Marie-France Hirigoyen nomme ce qui probablement devait exister avant, elle crée un champ d’expression, denégociation et de reconnaissance d’un phénomène qui va très rapidement faire peur aux entreprises et que la réglementation va aussi rapidement encadrer.
La loi du 17 janvier 2002 -loi de modernisation social-, inclut des dispositions sur le harcèlement moral au travail, l’article L1152-1 du Code du Travail issu de cette loi interdira le harcèlement moral et obligera l’entreprise à prendre des mesures pour prévenir ce type de comportement en entreprise.
En 2009, le psychiatre Christophe DEJOURS publie « le travail à vif » ; il explore les effets psychologiques et physiques du travail sur les individus dans les contextes des transformations récentes du monde du travail. La souffrance au travail est ainsi nommée.
En 2012, Michel SERRES, capture ce nouveau phénomène de la technologie et du rapport au monde que cela dévoile pour cette génération ; dans son livre « Petite Poucette ». Plus qu’une technologie, la connexion et son support que sont le téléphone et l’ordinateur, deviennent une manière d’être et de se représenter, une manière de communiquer et de prolonger son âme, ses relations au travers d’un outil technologique.
15 ans après, ceux qui souffrent le plus des risques psycho-sociaux et des fragilités émotionnelles sont les générations récentes, Y et Z.
« Les moins de 40 ans les plus touchés : les plus sensibles et les moins prêts à sacrifier leur équilibre ».
Le taux d’absentéisme a augmenté depuis 2019 :
- 4,8% en 2023 d’après le rapport de WTW
- Augmentation de la durée des arrêts longs : l’augmentation de près de 15% de la durée moyenne par arrêt (23,1 jours contre 20,2 jours en 2022)
- L’absentéisme des jeunes encore de 3% en 2023 et marqué par une multitude d’arrêts courts, avec une fréquence d’absences qui reste bien plus élevée (1,89 arrêt par salarié) que celle des populations plus âgées (1,64 arrêt par collaborateur âgé de 50-60 ans).
Les émotions ont pris le pas dans l’entreprise sur la nature des relations au travail, abîmées par l’utilisation des technologies dans toutes les interactions professionnelles, au détriment de relations de proximité.
IV. Comment l’IA peut aider ?
Face à l’isolement du salarié, en tant que manager pris entre la pression de son activité et de sa hiérarchie, en tant que collaborateur en télétravail sans contact avec son équipe sans savoir qui est son RH, sans toujours avoir toutes les solutions pour son travail : l’IA peut aider à dialoguer, partager, comprendre, s’orienter .
L’IA est dans les smartphones et peut être activée gracieusement et discrètement quel que soit l’état du salarié. Elle devient le premier contact pour éclairer et dialoguer. Elle permet aux salariés de disposer en instantané des premières pistes d’analyse de leurs relations, les premières réflexions d’auto évaluation de son état de stress et de solutions pour pallier le manque d’interactions humaines.
« Dépourvue d’émotions, l’IA est capable de les analyser »
Qui n’a pas reçu un email de 20 lignes écrits en gras, avec des MAJUSCULES ou encore un mot clé en rouge, suivi de 3 points d’exclamation !!!
Quel manager ne se retrouve pas démuni devant un salarié de la génération Z qui pose des questions, exprime sans filtre son étonnement devant un sujet d’inégalité de traitement ou un salaire trop bas ?
Quel salarié parti en burn out exprime sa peur de revenir travailler ou encore une femme enceinte qui n’ose pas dire à son manager qu’elle va partir en congé maternité de peur de perdre sa place ou de ne pas avoir la promotion tant attendue ?
Les émotions sont partout !
À la maison quand on est parent, quand on est aidant. Dans les deux cas, le salarié part avec ses émotions de l’entreprise et revient le matin en plus chargé de celles de la maison. Et pourtant il faut continuer à avancer sans savoir à qui parler. Si le salarié n’a pas la chance de travailler dans une grande entreprise du CAC 40 qui a mis en place une ligne téléphonique d’écoute, qui organise des formations à la gestion du stress ou à la communication non violente, il n’aura pas d’alternative à son mal être que de s’arrêter.
Imaginer demander à l’IA une analyse d’une situation au travail ne donne pas la réponse mais une réponse, des solutions. Dépourvue d’émotions, l’IA est capable de les analyser : ce dont ont besoin les salariés c’est une analyse objective dépourvue au maximum de biais et de jugement humain : contrairement à un professionnel RH ou un psychologue, un manager, l’IA dispose de millions de situations pré-enregistrées. Savoir prompter le besoin d’explorer ses émotions, de les comprendre, la capacité d’analyser le besoin des interlocuteurs et les options pour y répondre devient possible, sans s’exposer.
« Cacher ses émotions c’est risquer de s’isoler »
Les puristes crieraient au scandale : l’IA est une technologie inhumaine ; seules les relations humaines de proximité, les équipes RH et un manager fort sont capables d’aider un salarié en difficulté relationnelle ou en surcharge mentale. Alors pourquoi les centres d’appels explorent-ils les nouvelles plateformes comme COGITO, qui utilise l’IA pour détecter et filtrer l’agressivité dans les relations ? L’IA ne résout pas tout mais aide profondément ce que l’être humain ne parvient pas à réguler assez vite dans les entreprises, alors que parallèlement les entreprises se transforment en permanence et dans l’urgence.
Le risque de ne pas prendre en compte les émotions est de bloquer le développement de l’entreprise.
Le risque de ne pas prendre en compte les émotions est de voir partir ses salariés ou de les désengager suffisamment pour qu’ils restent sans s’investir au point d’éteindre l’innovation, de limiter l’audace ou de se désengager du collectif.
Le risque de ne pas réinvestir les relations humaines positives et généreuses est de laisser s’exprimer les peurs et les angoisses.
Sans émotions plus d’innovation, sans émotions, plus de collectif, sans émotions plus de performance économique et sociale.
Conclusion : Si l’IA n’a pas démontré sa vertu, l’IA n’a non plus démontré son vice
Elle a pour l’instant démontré sa capacité à converser, à apprendre de ses milliards de données et à retraduire les premières pistes de réflexion, d’analyse, de solutions, qui sont bien utiles aux salariés, dans un univers d’entreprise devenu perma dramatique.
Le temps dont on ne dispose plus doit être celui de l’innovation, du « test and learn », de l’autonomisation retrouvée des salariés qui s’approprient aussi leurs émotions et les canalisent.
Source d’innovation et de modernisme, d’avancée technologiques et médicale, l’IA est une opportunité immense dans un monde fermé, de réinventer les relations au travail et de réouvrir la porte du dialogue disparu.
L’IA compagnon de proximité devra être pilotée avec raison et encadrée par un observatoire des relations humaines positives composé d’experts psychologues et experts en IA et neurosciences.